Montreuil (93): petit point sur les gardes-à-vue dans l’affaire de l’usine Lafarge

Lundi 5 juin, cinq personnes ont été perquisitionnées à Montreuil, puis mises en garde-à-vue par la sous-direction antiterroriste (SDAT), dans ses locaux à Levallois-Perret. Les personnes sont accusées d’avoir participé à l’« invasion-sabotage » de l’usine Lafarge de Bouc-Bel-Air (13, Bouches du Rhône), le 10 décembre 2022. C’est le premier communiqué concernant les personnes de Montreuil sur le sujet, il n’est pas complet, d’autres suivront peut-être.

Ce qu’on leur reproche :

  • Détérioration du bien d’autrui par moyen dangereux, avec la circonstance aggravante de « bande organisée », cette qualification fait de cette procédure une procédure « criminelle » ;
  • Association de malfaiteurs formée en vue de la commission d’un délit puni d’au moins 5 ans d’emprisonnement, qui s’étendrait du 1er janvier 2022 au 10 décembre 2022 ;
  • Dégradation en réunion avec dissimulation du visage ;

Il semble que la SDAT ait été chargée de toute l’enquête depuis au moins février 2023, et qu’elle ait ordonné toutes les arrestations en France. L’enquête est dirigée par deux juges d’instruction à Aix-en-Provence dont Laure Delsupexhe. Les 5 garde-à-vue ont duré 82 heures. Pendant les garde-à-vue, le chef d’inculpation de « refus de donner le code de déverrouillage de téléphone et d’ordinateur » a été ajouté. Les 5 personnes gardées-à-vue sont sorties libres, sans contrôle judiciaire. Si elles sont convoquées par les juges d’instruction, elles pourront être mises en examen, ou qualifiées de « témoin assisté » ou de « témoin », et risqueront alors un procès. Il est aussi possible que les poursuites soient abandonnées (mais en vrai qui y croit au vu des moyens employés ?). 3 personnes sont convoquées dans un an pour refus de signalétique. Les 5 gardé.es-à-vue ont tenu le « je n’ai rien à déclarer » pendant tous les interrogatoires.

Les infos que les keufs ont.

Les policier.es ont obtenu les images de vidéosurveillance de l’intérieur des bus passant par la zone commerciale de Plan de campagne, en direction de Marseille, du 10 décembre. Avant d’exploiter le matériel saisi lors des perquisitions, les policiers avaient déjà enquêté sur :

  • Les factures détaillées de lignes téléphoniques (l’entièreté des connexions aux antennes, c’est-à-dire la totalité des endroits où on a borné, à qui on a envoyé des messages en clair, qui nous a envoyé des messages en clair, qui nous a appelé en clair, qui on a appelé en clair, la durée des appels, quand et depuis où, mais pas le contenu des conversations) associées par les keufs aux personnes interpellées ont été analysées sur une durée de 1 an (temps maximum de conservation des fadettes) ;
  • Très probablement des écoutes téléphoniques des appels en clair pour au moins une personne ;
  • L’activité de comptes bancaires associés par les keufs aux personnes interpellées : tous les achats par carte bancaires (dont ceux sur internet), virements (sommes, dates et destinataires), retraits d’espèces (sommes, lieux et dates) ;
  • Les antécédents judiciaires (les précédentes garde-à-vue, les condamnations) de manière très détaillée ;
  • Des réflexions des enquêteurs laissent penser que les personnes mises en garde-à-vue avaient été suivies les jours précédant la gav.

Sur l’action, les policier.es disent que les premier.es participant.es sont arrivé.es proche de la zone dans la matinée, et que l’action a débuté plus tard dans l’après-midi. Sur le site de Lafarge, les dégradations sont estimées à 6 millions d’euros. Iels ont parlé d’un « groupe commando » séparé du reste de l’action, qu’iels considèrent « plus offensif », qui serait parti à la fin de l’action « par la forêt », qui aurait brûlé des affaires le long d’un chemin, et d’un groupe principal, parti en traversant une voie ferrée, qui aurait brûlé des affaires dans un brasero.

Ampleur des infos que les keufs ont obtenu avec les objets saisis.

Sur 8 téléphones saisis, dont 6 smartphones, 3 smartphones ont été exploités pendant la garde-à-vue. Les policier.es en tirent a minima les historiques de navigation internet, les photos et vidéos enregistrées sur les smartphones, le contenu des conversations signal.

Sur 5 ordinateurs saisis, 1 ordinateur au moins est en cours d’exploitation. Il semble certain que tout le matériel informatique saisi sera exploité par les policier.es.

Iels ont également saisi un disque dur qu’iels ont pu exploiter pendant la gav.

Tous les carnets et agendas saisis ont été lus, quel que soit leur contenu.

Ce que les policier.es cherchaient.

Pendant la perquisition, les policier.es ont pris en photo toutes les pièces du bâtiment et ont fait un plan des lieux. Les 5 interpellé.es habitent ensemble dans une maison avec plus de monde. Iels n’ont pas arrêté tout le monde, iels cherchaient des personnes précises.

Dans les chambres de chacune des personnes interpellées, iels ont cherché :

  • Des vêtements et accessoires correspondant aux images de vidéosurveillance des bus
  • Des masques de ski, masques FFP2, FFP3, lunettes de soleil, … (trucs pour se dissimuler)
  • Des carnets de notes et des agendas
  • Du matériel informatique (ordis, tels, disques durs, clés usb)
  • Des objets sur lesquels iels pouvaient trouver de l’ADN : brosses à dents, brosses à cheveux…

Pendant la garde-à-vue, les policier.es voulaient construire une hiérarchie, trouver des organisateurices à l’action, le rôle des participant.es et faire des liens entre les personnes arrêtées (échanges téléphoniques, échanges bancaires).

Comment les gardes-à-vue se sont passées ?

Les faits reprochés étant de nature criminelle, les auditions étaient filmées. Chaque personne avait 2 ou 3 officier.es de police judiciaire attitrés, qui étaient présent.es pendant la perquisition. Les auditions ont eu lieu entre une et trois fois par jour selon les personnes, et ont pu durer de 15 minutes à 2h. Elles ont souvent eu lieu avec plusieurs OPJ, très attentif.ves aux émotions/réactions physiques/corporelles. Les policier.es ont posé beaucoup de questions sur les idées politiques, mais aussi des questions hors sujet (sur la qualité d’un concert d’Aya Nakamura, sur la couleur de la planète Mars…). Les policier.es ont aussi posé beaucoup de questions en off (discussions en dehors des auditions, questions soudaines, non prises en note, avec les caméras éteintes) sur des sujets en rapport avec l’enquête ou non.

Les policier.es semblaient avoir une grande connaissance des courants politiques et désaccords au sein des mouvements écolos et/ou anarchistes (critique d’anarchistes aux soulèvements de la terre sur la dernière mobilisation de Sainte-Soline notamment, positionnements sur la question de la non-violence entre les différents groupes écolos…).

Les policier.es ont demandé la prise de signalétique (empreintes et photos) et d’ADN. 3 gardé.es-à-vue ont refusé de les donner. Les empreintes n’ont pas étés prises de force (peut-être parce que les cartes d’identité avaient été saisies lors de la perquisition). Iels sortent avec une convocation par officier de police judiciaire (COPJ) pour un procès dans un an pour le refus de signalétique et d’ADN.

Les policier.es ont insisté au début des perquisitions pour que les personnes arrêtées portent un masque chirurgical pour le covid, qui ont ensuite été récupérés plus d’une heure après, avec des gants, puis mis sous scellés. Tout cela évidemment dans l’objectif de récupérer leur ADN (mais tout le monde s’est fait avoir).

Les 5 gardé.es-à-vue ne se sont jamais croisé. Les cellules étaient individuelles, sans vue sur le couloir et insonorisées, filmées non stop, propres (avec la possibilité de prendre une douche froide de 10 minutes chaque soir, séchage au papier toilette compris), et il était possible de demander à éteindre la lumière des cellules le soir. Les cellules sont au niveau -4 (pour celleux qui s’imagineraient encore pouvoir se faire entendre de l’extérieur…)

Ce sur quoi les policier.es mettent la pression.

Lors de la garde-à-vue, les policier.es ont mis la pression sur des éléments personnels et intimes (questions sur la famille, les ami.es, sur le contenu de journaux intimes) ; sur le mode de vie ; sur la situation économique ; l’orientation politique ; et la menace de la détention provisoire et de la prison. Iels ont augmenté la pression sur les personnes qui leur semblaient les plus fragiles selon les informations qu’iels avaient pu récolter ou les réactions des personnes pendant la perquise ou la 1e audition.

Les flics ont joué sur l’effet très impressionnant du dispositif policier (perquisition, réveil, fouille des chambres par des policier.es cagoulé.es…) et des conditions de garde-à-vue dans les locaux de la SDAT pour faire croire aux personnes qu’elles vont forcément aller en taule pour des actes très graves, alors même qu’iels n’ont pas beaucoup d’éléments dans le dossier. Aussi iels ont fait croire à une des personnes interpellées qu’une autre avait parlé alors que c’était faux.

Comment se protéger ?

Si vous en ressentez le besoin, voici quelques conseils, non-exhaustifs :

  • Barricader sa porte avec un maximum d’étais afin de ralentir la progression des policier.es lors des perquisitions, et avoir le temps de s’habiller, de se préparer un café, de prendre un bain, de les écouter râler sur la difficulté à défoncer la porte. C’est malheureusement pas ce qui a été fait à Montreuil, où tout le monde était menotté au bout de 5 minutes. À Montreuil, c’est la Brigade de Recherche et d’Intervention (la BRI, la force d’intervention de la préfecture de police) qui a pénétré dans le bâtiment, et qui s’est chargé de menotter toutes les personnes recherchées. Les flics peuvent aussi utiliser des techniques assez silencieuses, sans bélier, pour ouvrir les portes sans réveiller les habitant.es avant d’entrer.
  • Plus sérieusement, éteindre son téléphone (les téléphones éteints sont plus compliqués à exploiter) ;
  • Se débarrasser de tous les objets incriminants chez soi (vêtements, carnets, matériel, ordis, téléphones, ou ce qu’il y a dedans) ;
  • Essayer de ne pas porter les masques Covid proposés pour ne pas se faire prendre facilement son ADN ;
  • Iels ont parfois utilisé la ruse pour obtenir une brosse à dents plus facilement en conseillant à une personne de prendre sa brosse à dents pour la garde-à-vue, se faisant passer pour des gentils flics au passage ;
  • Si on vit avec plusieurs personnes, mettre les objets susceptibles de contenir de l’ADN dans des espaces collectifs et ne pas les désigner comme étant les siens, si on vit seul.e, les mettre dans des endroits improbables ;
  • Apprendre un maximum de chansons à crier fort pendant la garde-à-vue, des exercices de respiration et de renforcement musculaire (c’est long 96 heures…).

Des soutiens des personnes gardées-à-vue

[Publié le 12 juin 2023 sur Indymedia-Nantes.]