Héraklion (Grèce): que se passe-t-il vraiment ?

Ce samedi 30 septembre, bien avant l’aube, une armada policière a fermé plusieurs rues du centre-ville d’Héraklion pour encercler le grand bâtiment de la rue Theotokopoulou : l’immense squat Evangelismo, pièce maitresse du mouvement social de la quatrième ville de Grèce depuis 21 ans. Il était exactement 5h30 quand les policiers de l’unité spéciale antiterroriste (TEKAM) ont pris d’assaut le bâtiment occupé. Dix camarades et compagnons ont été arrêtés. L’un d’entre eux a été blessé, alors qu’il tentait de fuir. 

Les alentours du bâtiment ont été bouclés longtemps par la police (à la fois des motards DRASI et DIAS, des MAT, des OPKE et l’unité antiterroriste TEKAM), par crainte de représailles du mouvement social qui, dès l’alerte, commençait à converger vers le squat. Une partie du centre-ville d’Héraklion a été paralysée toute la matinée, et pour cause !

L’appel a été lancé pour se rassembler massivement dès 11h à la Place des Lions, non loin du squat. La zone commerçante et touristique a rapidement été envahie par des centaines de militants anarchistes et antiautoritaires, mais aussi de nombreux solidaires venus d’autres composantes du mouvement social. Très nerveuse, la police a choisi l’affrontement brutal, jetant abondamment ses gaz lacrymogènes sur une foule dans laquelle se trouvaient des enfants et des personnes âgées. Des familles qui passaient par là et même des touristes ont suffoqué sous les agressions policières. Par la suite, le Centre de la Jeunesse de la municipalité d’Héraklion a été visé (20 personnes coincées sur le toit). Puis, ce fut le tour de la salle des événements où un ministre était en visite : Lefteris Avgenakis, ministre du Développement durable, a du écourter sa logorrhée ennuyeuse sous les cris et les protestations. De nombreux tags et plusieurs actions de sabotages ont eu lieu dans d’autres endroits de la ville.

Une nouvelle manifestation a lieu à l’heure qu’il est (samedi 20h) dans le centre-ville d’Héraklion. Plusieurs initiatives solidaires se déroulent ailleurs en Grèce ou sont prévues pour demain et lundi.

Ce qu’il faut savoir :

UNE MAGOUILLE ÉLECTORALE

Le plan national d’évacuation des squats a été lancé il y a 4 ans par le premier ministre Mitsotakis, au moment de son élection. Il vise en priorité le quartier d’Exarcheia, cible principale au centre d’Athènes (où se trouvaient à l’époque une quarantaine de squats dans un tout petit périmètre), mais aussi des dizaines d’autres squats partout en Grèce. Le chef de la police chargé de ces opérations a longtemps été Michalis Karamalakis, celui qui s’était ridiculisé en promettant de bâtir « une ligne Maginot contre Rouvikonas » en septembre 2019, aux côtés du président du parlement. Et qui est aujourd’hui le candidat de la droite à la mairie d’Héraklion dont les élections municipales auront lieu dimanche 8 octobre ? Michalis Karamalakis, lui même ! C’est bien une magouille électorale à laquelle nous assistons, une fois de plus ! Une tentative de démonstration de force dans cette Crète que la droite (Nea Demokratia) rêve de conquérir depuis toujours.

UNE OCCUPATION ANCIENNE ET LÉGITIME

Le bâtiment occupé est supposé être la propriété de la Faculté de Médecine de l’Université de Crète. En effet, de 1945 à 1985, il a été utilisé comme clinique sous le nom d’Evangelismo. Mais depuis 1985, il est resté abandonné pendant presque 20 ans, sans que l’Université de Crète n’ait jamais élaboré le moindre projet pour sauvegarder et utiliser l’immeuble. Complètement à l’abandon, le grand bâtiment a commencé à tomber en ruines, au fil des années…

C’est en 2002 qu’a débuté l’occupation d’Evangelismo, devenu le « squat Evangelismo », progressivement reconnu et utilisé par une grande partie du mouvement social de la ville et des alentours, notamment en proposant des activités gratuites dans plein de domaines !

PLUS QU’UN GRAND SQUAT, UN OUTIL MAJEUR DU MOUVEMENT SOCIAL EN CRÈTE !

Depuis 21 ans, le squat Evangelismo n’est pas seulement un lieu d’hébergement et d’accueil auto-organisé, il propose aussi de nombreuses actions solidaires, des cuisines sociales qui ont nourrit des milliers de personnes au fil des ans, notamment durant l’hiver et, plus encore, pendant la difficile période du confinement durant laquelle beaucoup de chômeurs et de migrants n’avaient plus de quoi manger. Toute la ville d’Héraklion sait parfaitement qu’Evangelismo a sauvé de nombreuses personnes qui sombraient dans la misère absolue, la maladie et la dépression. 

Evangelismo est également une lieu de réunion pour les groupes anarchistes et antiautoritaires, mais aussi des collectifs de contre-information (à commencer par le journal Apatris, tiré à 15.000 exemplaires et présenté par un membre d’Evangelismo dans le film Je lutte donc je suis, à partir de la 61e minute), des assemblées antifascistes, des réunions et des actions de solidarité avec les prisonniers politiques, des organisations ouvrières, des collectifs féministes, des assemblées contre la guerre, des projections-débats, des rencontres avec des invités, des concerts, un studio de musique, un gymnase, un bar autogéré, une bibliothèque sociale et plusieurs espaces d’études ou dédiés à d’autres d’activités.

Evangelismo est incontournable à Héraklion ! Particulièrement précieux ! Indispensable !

UNE ÉVACUATION SOUS LE SIGNE DE LA DÉSINFORMATION

Depuis ce matin, la propagande du pouvoir et des médias à sa botte est lamentable : il est raconté tout et n’importe quoi contre le squat, en balayant d’un revers de la main toute son histoire et ses actions exemplaires. Imaginez-vous de quoi parlent les médias au service du pouvoir depuis ce matin ? Uniquement de certains éléments saisis lors de la perquisition ! 29 manches de pioches et drapeaux pouvant servir à se défendre, une hache (souvent répété), des casques, des masques, des caisses de pierres et des « matériaux pour la fabrication d’engins explosifs improvisés » (traduisez : de quoi faire des cocktails Molotov). Cerise sur le gâteau : la police a trouvé des cartes d’identité n’appartenant pas aux personnes arrêtées et, surtout, une toute petite quantité de cannabis ! Quelle horreur ! Imaginez la façon de présenter cela aux infos, avec le ton dramatique de rigueur et le commentaire soulagé des sempiternels experts nous expliquant quoi penser.

UN BÂTIMENT OPPORTUNÉMENT REPRIS… JUSTE APRÈS SA RESTAURATION !

Depuis des années, les membres du squat avaient entrepris de sauver le grand bâtiment de la ruine. Des travaux colossaux avaient vu le jour avec beaucoup de soutien. Des travaux successifs auxquels nous avions participé durant les convois solidaires (financièrement avec Anepos depuis 2015 et jusqu’à il y a deux mois encore). La façade arrière avait entièrement été refaite il y a 5 ans, puis ce fut le tour du reste du bâtiment : regardez les photos magnifiques des travaux de ces derniers mois. Même le voisinage se disait rassuré et ravi de cette restauration de longue haleine.

Autrement dit, l’État a patiemment attendu durant des années que le mouvement social ait entièrement restauré le grand bâtiment historique, avec l’aide de ses soutiens (des milliers d’euros à plusieurs reprises), pour le lui reprendre brutalement ce matin ! Maintenant qu’il est superbe et ne risque plus l’effondrement, le pouvoir le veut absolument.

UN SQUAT QUI SE SERA REPRIS TÔT OU TARD PAR LE MOUVEMENT SOCIAL !

En 2019, l’autre très grand squat de Crète, cette fois à Chania, a été évacué brutalement par la police. Mais ce magnifique squat, nommé Rosa Nera, n’a pas mis longtemps a être repris. Les quelques policiers qui montaient la garde (rotations jour et nuit) ont fini par être encerclés par une foule immense et déterminée… et ils ont préféré prendre la fuite ! Un moment historique pour le mouvement social en Crète ! Depuis, Rosa Nera a repris ses activités et nous avons fait beaucoup de choses avec lui ces dernières années : livraisons de colis à chaque convoi solidaire, soutien financier, rencontres, tables rondes, projections-débats…

Les squats Evangelismo à Héraklion et Rosa Nera a Chania ont souvent hébergé les participants aux convois solidaires successifs (depuis fin 2017 à Evangelismo, alors que nous étions massivement venus pour soutenir la lutte contre le projet d’aéroport à Kastelli, similaire par certains aspects à celui de Notre-Dame-des-Landes). C’est ça aussi, la force des grands squats.

Ce matin, un autre lieu occupé a été évacué simultanément. Il s’agit du squat de l’École de génie chimique de l’Université technique nationale de Zografou, à l’est d’Athènes (pas très loin d’Exarcheia). Ce bâtiment était occupé depuis 20 ans. Il a été évacué le 31 août 2023. Et vous devinez quoi ? Il a été réoccupé jusqu’à aujourd’hui ! Ce sera encore le cas dans quelques jours, à n’en pas douter.

Voilà pourquoi la police a mis en place un dispositif énorme pour les prochains jours : elle craint une réoccupation rapide et massive, soutenue par des militants aguerris et une foule déterminée. De toutes façons, quoi qu’elle fasse, tôt ou tard, ce sera le cas.

Evangelismo sera inexorablement réoccupé parce qu’il est un bien commun, un outil majeur du mouvement social en Crète, un grand bâtiment qui n’a rien à faire dans les mains de l’État, mais au contraire dans celles de la société qui ne se reconnait pas dans la bureaucratie autoritaire et verticale au service du pouvoir et de la classe dominante.

Non, Evangelismo est un espace de liberté et il le redeviendra. Ça chauffe à Héraklion et ce n’est pas fini. 

Yannis Youlountas

PS : une enquête a été ouverte contre les dix camarades et compagnons arrêtés par la Direction de la sécurité d’Héraklion. Encore un procès en perspective !

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MISE À JOUR DANS LA NUIT

Des bonnes et des mauvaises nouvelles :
– beaucoup de monde à la manifestation, mais une pluie battante presque tout le long alors qu’il pleut très rarement d’habitude !
– les camarades arrêtés viennent d’être libérés au crépuscule, mais des poursuites judiciaires auront sans doute lieu !
– Et le plus scandaleux dans tout ça, c’est qu’on a appris dans la soirée le martyr du camarade blessé dans la course poursuite sur le toit du squat à l’aube… En effet, le camarade grièvement blessé à la colonne vertébrale et à plusieurs membres, s’est vu refusé son hospitalisation pourtant urgente ! Il a été retenu durant 10 heures au commissariat de police d’Héraklion dans un fauteuil roulant inadapté avec des douleurs atroces ! Son admission aux urgences de l’hôpital n’a pu avoir lieu qu’à 16 heures !  L’affaire vient d’éclater et ne fait que commencer, mettant encore plus en colère le mouvement social et les médias alternatifs.

Merci de vos messages de soutien et de vos initiatives solidaires, où que vous soyez. À suivre…

[Publié le 30 septembre 2023 sur blogyy.net.]