Le Massicot, lieu occupé depuis septembre 2014 à Ivry-sur-Seine, risque d’être expulsé dès cet automne alors que la date de démarrage des travaux n’est pas prévue avant fin 2017. Un bâtiment habitable serait donc une fois de plus vidé de ses habitant.es pour rien ! Une année de mobilisations a amené la mairie à accepter l’idée de laisser vivre le Massicot jusqu’au début des travaux. Reste à la convaincre de mettre cette idée en actes : il suffit pour la mairie de signer un protocole d’accord garantissant aux habitant.es de rester dans les lieux jusqu’au début des travaux. Signature qui doit avoir lieu avant le procès prévu pour le mois de septembre. Cet accord va-t-il arriver rapidement, ou être obtenu par la nouvelle campagne de soutien qui s’annonce ? C’est la saga de l’été.
Caché derrière l’imposant bâtiment de l’espace Robespierre, le sentier des Malicots est de ces petites rues où l’on oublie vite que l’on est à peine à 1 kilomètre du périphérique parisien. Au fond du sentier, un étrange bâtiment, à mi-chemin entre les préfabriqués de chantier et le hangar aménagé. 350 mètres carrés de plain-pied. Sur la façade, une inscription en lettres calligraphiées : « Le Massicot. Maison de papier fondée en septembre 2014 ».
Chaque semaine, c’est une quarantaine de familles qui bénéficient de cette solidarité élémentaire face au gâchis de l’industrie alimentaire
Le bâtiment en parfait état avait été abandonné plusieurs années auparavant par IDF habitat, société dont la mission est pourtant de gérer des logements sociaux. Un bâtiment vide, pendant que des milliers de personnes attendent un logement, hiver comme été. Cette maison de papier est donc animée depuis bientôt deux ans par une joyeuse bande de précaires, qui ont trouvé là un toit où s’abriter. Et non contents d’avoir enfin résolu l’épineuse question de leur logement, les habitants font vivre l’endroit : des activités culturelles et sociales ont trouvé la place qui leur manquait. Une chorale répète une fois par semaine, le jardin s’est empli de légumes et de nombreuses discussions et projections publiques ont pu avoir lieu. Une distribution de surplus alimentaire est organisée, en partenariat avec une association qui récupère les invendus de grossistes en agriculture biologique basés à Rungis. Chaque semaine, c’est une quarantaine de familles qui bénéficient de cette solidarité élémentaire face au gâchis de l’industrie agroalimentaire.
IDF habitat a pourtant intenté une action en justice pour mettre fin prématurément à ce regain de vie au fond du sentier des Malicots. Une démarche juridique qui ne se justifie par aucune urgence : si la construction d’un immeuble est bien envisagée sur la parcelle, les travaux ne devraient pas démarrer avant des mois, voire des années. Les riverains n’ont pas encore vu l’ombre d’un début de commencement de concertation. C’est pourtant une étape indispensable avant d’entreprendre la profonde modification du quartier qu’entraînera inévitablement l’arrivée d’une cinquantaine de nouvelles personnes, avec leurs places de stationnement, leurs véhicules… sans compter l’énorme chantier qui s’annonce pour édifier un véritable immeuble à la place d’un préfabriqué et d’un jardin.
Ce n’est pas IDF habitat qui devrait mener les travaux, mais Coop Immo, une autre société qui souhaite monter là un projet d’ « habitat coopératif ». Ce qui signifie que les futurs habitants seront associés à la conception même de l’immeuble. Or aucun appel n’a encore été lancé pour réunir les futurs habitants. Autant dire que les marches à franchir sont nombreuses pour le nouvel immeuble avant le dépôt du permis de construire. Et une fois le permis déposé, il faudra encore compter de longs mois avant que les travaux puissent démarrer.
Une demande simple : rester jusqu’au début des travaux
Dès qu’ils ont été mis au courant du projet, les habitant.es du Massicot ont fait savoir qu’ils ne s’y opposaient pas : « Il faut des logements, et les réaliser en ’habitat coopératif’ n’est pas une mauvaise idée » déclaraient-ils. Si le protocole est signé, les habitant.es quitteront les lieux juste avant le début des travaux pour laisser place aux équipes du chantier. IDF habitat étant administrée par des élus, et notamment par Philippe Bouyssou (le maire d’Ivry-sur-Seine lui-même), c’est logiquement à la mairie d’Ivry que l’équipe du Massicot s’est adressée. Dès l’automne 2015, la demande était claire : que la mairie mette à distance la menace d’expulsion qui pèse sur le Massicot afin d’éviter que le bâtiment se retrouve à nouveau vide, inutile, abandonné.
Il a fallu un rassemblement devant la mairie, quelques lettres, que des dizaines d’Ivryens et d’Ivryennes filent des coups de main, se mobilisent, montrent leur soutien, pour que cette demande commence à être entendue. Il a fallu démontrer que les sondages préalables aux travaux (pour connaître la composition du sol) ne nécessitaient en aucun cas de démolir le bâtiment pour que les négociations avancent. Il a fallu insister pour réunir architecte, technicien, responsable du projet et élus autour d’une même table et constater ensemble qu’aucun obstacle ne se dressait devant la perspective d’un accord. Le 29 juin, Romain Marchand (premier adjoint à la mairie d’Ivry) et Christian Chevé (directeur général de Coop Immo) l’ont affirmé aux habitant.es : ils s’engagent à ne pas demander l’expulsion avant le début des travaux. Seul hic, et de taille : l’engagement reste oral pour l’instant. Avoir son logement et ses affaires placés sous la possibilité permanente d’une expulsion immédiate – expulsion seulement repoussée par des promesses – n’est pas viable. La signature d’un protocole d’accord, seule à même de mettre réellement à distance la menace d’expulsion, reste suspendue à une nouvelle réunion qui devrait avoir lieu tout début septembre.
Ce même 29 juin, la fête du Massicot organisée sur l’esplanade du parc des Cormailles, à deux pas de l’hôtel de ville d’Ivry, réunissait 180 personnes déterminées à ce que le Massicot reste un lieu vivant, ouvert et solidaire. Autrement dit, déterminées à ce que la Mairie mette ses actes en accord avec ses propos, et fasse en sorte qu’IDF habitat signe au plus vite le protocole d’accord.
La mairie saura-t-elle conclure l’accord proposé par les habitant.es ?
Depuis, les habitant.es ont envoyé une proposition écrite rédigée avec leur avocate, d’un document présentant toutes les garanties juridiques pour les deux parties. En cas de signature, les habitant.es ne seraient pas expulsables avant le début des travaux, mais renonceraient à toute procédure au-delà, s’exposant à de lourdes amendes si le bâtiment n’était pas rendu au propriétaire le jour dit. Le procès est en tout cas fixé pour le 30 septembre, et les habitant.es espèrent bien obtenir une signature du protocole dès la rentrée des classes, afin d’aborder ce rendez-vous judiciaire dans la sérénité.
La balle est donc dans le camp de la mairie : saura-t-elle clore l’affaire en permettant un accord qui n’engage qu’à tenir ses promesses ? Ou les habitant.es et soutiens du Massicot devront-il se battre pour que le droit au logement ne reste pas lettre morte ?
[Publié le 15 août 2016 sur Paris-Luttes.Info.]