Les autorités kurdes ont procédé à une vague d’attaques, démolissant des maisons et chassant des centaines d’Arabes de Kirkouk, en représailles manifestes d’une attaque menée le 21 octobre par le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI), écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié lundi 7 novembre.
Ce rapport, intitulé ‘Where are we supposed to go?’: Destruction and forced displacement in Kirkuk, dévoile que des centaines d’Arabes de confession sunnite, qui bien souvent avaient fui les combats et l’insécurité dans les provinces voisines, sont expulsés de Kirkouk. Beaucoup se sont vus ordonner de retourner dans leurs régions d’origine ou ont été confinés dans des camps parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir aidé l’EI à coordonner son attaque.
« Il est indéniable que les autorités à Kirkouk sont confrontées à de graves menaces pour la sécurité, mais cela ne justifie pas de raser des habitations au bulldozer et de déplacer de force des centaines d’habitants arabes. Nombre des personnes concernées avaient déjà été contraintes de quitter leur foyer en raison des violences qui ravagent le pays. Aujourd’hui, elles sont une nouvelle fois déplacées de force ou se retrouvent sans logement », a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe des recherches au bureau régional d’Amnesty International à Beyrouth.
Au lendemain de l’attaque surprise menée par l’EI contre huit sites à Kirkouk le 21 octobre, de nombreux habitants ont reçu l’ordre de quitter le secteur et se sont vus confisquer leurs papiers d’identité. Parmi eux, on dénombre environ 250 familles qui avaient déjà fui d’autres provinces irakiennes et avaient cherché refuge et sécurité à Kirkouk.
Au moins 190 familles ont également été déplacées par les peshmergas kurdes et les forces Asayish des villages de Qotan et Qoshkaya dans le district de Dibis, dans la province de Kirkouk. La plupart ont été transférées vers des camps pour personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ou se sont installées chez des parents dans les villages alentour. Les forces de l’EI avaient attaqué une centrale électrique à Dibis le 21 octobre, tuant 12 gardiens et employés.
« Expulser et déplacer de force des Arabes sunnites habitants de Kirkouk est illégal et cruel. Les autorités kurdes doivent mettre fin sans délai à la destruction illégale de biens civils et au déplacement forcé de populations », a déclaré Lynn Maalouf.
« La destruction délibérée menée sans nécessité militaire est un crime de guerre. Ordonner le déplacement de civils – sauf en cas de nécessité pour leur propre sécurité ou en cas de nécessité militaire impérative – constitue également un crime de guerre. »
Le rapport d’Amnesty International, fondé sur des entretiens avec des dirigeants de communautés, des personnes déplacées, des habitants, des militants et des responsables politiques locaux, est étayé par des preuves photographiques de destructions et des déclarations de représentants de l’État.
« Muhayman », dont le nom a été modifié pour des raisons de sécurité, âgé de 40 ans, père de 10 enfants originaire d’un village situé au sud-ouest de Kirkouk, a été déplacé à deux reprises par les forces kurdes, la première fois en 2015 et la deuxième le 25 octobre 2016. Il a raconté à Amnesty International que des hommes en uniforme militaire sont arrivés à Kirkouk dans le secteur de Manshiya, dans le quartier de Wahed Huzairan, et ont ordonné aux habitants de quitter les lieux avant le lendemain matin. Le lendemain, ils ont été expulsés et des bulldozers ont démoli leurs maisons jusque tard dans la nuit.
« Des peshmergas m’avaient ordonné de quitter mon propre village, alors j’ai construit une maison ici… Maintenant nous sommes de nouveau sans logement et nous sommes tous hébergés chez mon frère. Où sommes-nous censés aller ? »
Le quartier, qui comptait des centaines d’habitations, a été entièrement rasé, et seule une dizaine de maisons sont encore debout, a-t-il déclaré.
« Ahmed », habitant de Kirkouk, dont la maison a été démolie le 25 octobre a raconté la panique qui s’est emparée des habitants : ils se sont précipités pour sauver leurs affaires, alors que les tracteurs et les bulldozers faisaient leur entrée dans le quartier. Un de ses voisins, désespéré, s’est suicidé après avoir assisté à la démolition de sa maison. D’autres habitants interrogés par Amnesty International ont corroboré ce témoignage.
Un homme qui avait fui Diyala avec sa famille pour se rendre à Kirkouk en août 2014 a déclaré que les forces de sécurité l’ont ouvertement accusé de l’attaque de l’EI : « Nous sacrifions des martyrs pour combattre Daesh [acronyme arabe désignant l’EI] et vous les faites venir ici, et vous les cachez dans ces maisons. »
Il a été contraint de retourner à Diyala avec sa famille, malgré les pratiques avérées d’homicides illégaux et d’enlèvements visant les Arabes sunnites aux mains des milices.
Le gouverneur de Kirkouk s’est engagé publiquement à ne pas renvoyer des personnes déplacées vers des zones toujours sous contrôle de l’EI et là où des affrontements sont en cours, comme à Mossoul et dans sa région. Aux termes du droit international et des normes internationales, le retour de personnes déplacées dans leur foyer doit être volontaire.
Amnesty International a recensé des déplacements forcés répétés et la destruction de maisons et de villages arabes par les peshmergas, qui empêchent les habitants de villages arabes et les Arabes vivant dans des villes mixtes arabes et kurdes de rentrer chez eux.
« Au lieu de bafouer le droit international en expulsant de manière arbitraire des civils de chez eux, les autorités kurdes et irakiennes doivent offrir une protection à ceux qui ont déjà été déplacés ou cherchent à se mettre à l’abri des combats, et doivent faciliter le retour volontaire et sûr de ceux qui souhaitent rentrer chez eux », a déclaré Lynn Maalouf.
Complément d’information:
Kirkouk se trouve sous le contrôle de facto du Gouvernement régional du Kurdistan depuis que les forces gouvernementales irakiennes se sont retirées du nord de l’Irak en juin 2014, lorsque l’EI s’est emparé de vastes territoires dans le pays.
Si les manœuvres visant à renvoyer de force des habitants et des Arabes sunnites déplacés sont antérieures à l’attaque de l’EI du 21 octobre, elles se sont intensifiées depuis.
[Publié le 7 novembre 2016 sur le site d’Amnesty International.]