Communiqué de la Coordination des actions anti-gentrification du 1er février 2024 après les pseudo-révélations de Complément d’enquête, la sortie d’une nouvelle grosse crapule du Airbnb affichée sur les réseaux et pour annoncer la création d’une plateforme participative Balance Ton Airbnb pour répertorier, documenter, enquêter, traquer, multiproprios et véreux du mal-logement.
Le 11 janvier dernier, Complément d’Enquête diffusait l’interview anonyme d’un multipropriétaire de locations saisonnières à Marseille, dans le cadre d’une émission consacrée à la spéculation immobilière liée au tourisme et aux niches fiscales accordées aux plateformes numériques de type Airbnb. On y voit un propriétaire satisfait de lui-même, s’affirmant tout haut en « flagrant délit d’illégalité », c’est-à-dire sans le moindre respect des réglementations ou de la compensation des logements pris aux Marseillais.
Depuis décembre 2020, Vincent Challier, chirurgien à Périgueux, a en effet acquis un immeuble entier au 30 rue Thiers, dans le 1er arrondissement, après en avoir fait expulser plusieurs personnes et familles en plein hiver, en prétextant même un faux « arrêté de péril » au départ. En 2022, après des travaux et avoir découpé tous les appartements, Vincent Challier convertit la « Niche » en « espace de coliving », soit 14 chambres partageant des espaces communs, dans un espace rentabilisé au maximum. Pour bénéficier des niches fiscales, il les place en locations saisonnières sur Booking ou Airbnb.
Les dessous du Complément d’enquête
Devant l’explosion des annonces Airbnb dans le quartier et l’incessante valse de valises à roulette en bas de l’immeuble, des voisin.e.s et collectifs du quartier sonnent vite l’alerte. Au printemps 2023, la Niche est identifiée parmi bien d’autres dans ce processus d’accaparement immobilier, aux frontières de la légalité.
Des stickers et des messages s’affichent sur la vitrine, des recherches au cadastre, sur les plateformes et les registres commerciaux, enfin le témoignage d’anciens expulsés, conduisent les collectifs d’habitant.e.s à rédiger une fiche très détaillée, placardée sur les façades du quartier, et envoyée six mois plus tard à Complément d’enquête : un notable bien au chaud, résidant loin de Marseille, surfant sur les fausses déclarations, qui spécule comme tant d’autres sur le logement marseillais, pour sa seule rentabilité à court terme et sans se soucier de « tuer le quartier » en le vidant de ses habitant.e.s.
Face à la contestation quasi quotidienne, Vincent Challier finit même par répondre « aux anti-airbnb » par une « lettre ouverte » collée sur la porte de la Niche. Pas très fin, le multipropriétaire y révèle involontairement la fraude commise, sur le même ton péremptoire et ce sentiment de toute puissance que chacun a pu apprécier dans Complément d’enquête.
A Marseille, attirés par des rendements 2 à 3 fois supérieurs, certains investisseurs louent des immeubles entiers aux touristes sur Airbnb, quitte à ne pas respecter la réglementation.
Non content de ses abattements fiscaux, Vincent Challier se confond déjà, comme il le fera devant les micros Complément d’Enquête, en rappelant par exemple qu’il n’a pas déclaré (volontairement) le changement d’usage de son bien. Ce changement pourtant obligatoire auprès de la municipalité est en fait une belle manière d’échapper à la règle de la compensation qui prévaut à Marseille : pour tout logement déclaré en « meublé de saison », le second doit être immédiatement compensé par un logement « nouveau » (à construire ou transformer) sur le marché de la location dite « longue durée ». Avec ses 14 logements à compenser, Vincent Challier a de quoi faire.
Tous ces éléments d’enquête et de lutte ont été transmis par les collectifs aux journalistes de Complément d’enquête, certains acteurs locaux ont même accepté les interviews pointant la Niche ou le peu d’empressement de la municipalité à réagir face à cette situation.
Si la coordination des actions anti-gentrification ne peut que se satisfaire qu’un média à large diffusion s’empare du sujet sous l’angle de la disparition des logements, de la pression touristique et de la spéculation immobilière, comment réagir face à tant d’omissions, qui dépolitisent le propos et vident la guerre urbaine à Marseille de ceux qui la vivent, ses habitant.es.
Où sont passés nos logements ? Et les luttes des habitants ?
Les propos et le rôle des habitant.es sont de fait occultés : si l’on voit des messages et des graffitis dans les rues et même des images de locations saisonnières saccagées, les interviews des membres de collectifs et les habitants ont étrangement disparu. On admet que les propos de propriétaires comme Challier suffisent à les décrédibiliser (et à faire exploser le nombre des vues sur Twitter), mais effacer encore une fois les luttes et les habitant.e.s sur ces questions contribue au sentiment de fatalité et à l’impuissance devant la plateforme mondiale, à s’en remettre aux municipalités en apparence submergées, et seul.e.s face à ce genre de parfaits salopards.
Rien n’est moins vrai en réalité : les rapports de force et les petites victoires même locales comme l’affichage permanent depuis plus d’un an ont en réalité offert ce scoop à Complément d’enquête sur fond de lutte permanente. D’ailleurs, la liste fournie était bien plus longue.
Rien n’est moins faux que l’image d’un multipropriétaire isolé et vorace au milieu d’un océan de Airbnb sympa chez « l’habitant.e ». L’information, l’affichage et la traque citoyenne ont montré la réalité d’un phénomène où plus d’une annonce sur deux est celle d’un multipropriétaire. Et ce sont ces enquêtes qui ont rendu possible les pseudo-révélations mais aussi, en face, contraint en partie la mairie à durcir sa communication, voire ses contrôles, en recrutant enfin quelques agents en plus pour surveiller la plateforme à l’été 2023.
Rien n’est plus dangereux que de faire croire que les habitant.es n’ont (plus) aucun rôle à jouer. A Marseille comme ailleurs, la dénonciation des multipropriétaires et des spéculateurs du type de Vincent Challier ne peut être laissée aux seuls médias ou à des municipalités qui, comme à Marseille, développent une « politique d’attractivité touristique » qui entretient en parallèle les racines du mal-logement.
Tout en communiquant par moment contre les excès, « l’invasion des valises à roulettes au Panier », cette dernière rassure en permanence les multiproprétaires et les spéculateurs. Et, à vrai dire, en annonçant fin janvier avoir prélevé 4.5 millions d’euros au titre des taxes sur Airbnb, qui croit vraiment qu’une mairie en plein conflit d’intérêts ira au bout d’une vraie politique de (re)logement en centre-ville et dans les quartiers ?
Le reportage est pourtant particulièrement complaisant avec ladite municipalité, qui dispose d’une vaste palette d’outils règlementaires : pour freiner le phénomène mais aussi pour contrôler, contraindre, poursuivre quand les dispositions ne sont pas respectées. Du processus d’agrément municipal (qui permet d’établir des quotas par quartier) à la déclaration de changement d’usage en passant par la règle de la compensation (qui permet d’équilibrer le rapport airbnb/bail conventionnel).
Que fait la mairie submergée de Marseille ?
Non, à Complément d’enquête, on voit des employés municipaux dépassés, réduits à éplucher des numéros d’agrément ressemblant vaguement à des faux et à envoyer des demandes écrites à la plateforme… Laquelle répond à côté.
La mise en scène est absurde et navrante : ce que les collectifs militants auraient trouvé, la municipalité, elle, n’y aurait même pas accès. Qui peut encore croire, dans la ville de l’insalubrité, capitale hexagonale des marchands de sommeil qui ont flairé depuis un moment le filon de la reconversion des taudis en airbnb, que gentils spéculateurs et spécialistes du contournement respecteraient ces règles, voire les habitant.e.s, sans un contrôle drastique ?
Au final, si Complément d’enquête comme la municipalité avaient écouté l’analyse des collectifs interviewés, l’analyse aurait pu aller un peu plus loin : quelle différence fondamentale entre la pratique de la découpe des appartements d’un Gérard Gallas, flic-marchand de sommeil aux 122 taudis condamné fin janvier 2024 à 4 ans de prison ferme… et cette pratique de la découpe dans des taudis ou des immeubles entourés de taudis, d’un Vincent Challier ou d’un Florent Richard, immonde crapule qui se vante à longueur d’Instagram de racheter des bâtiments à Marseille pour les découper et augmenter sa rentabilité grâce à Airbnb ? A part qu’il n’y a effectivement plus d’habitants à exploiter ou à qui extorquer un juteux loyer, Airbnb n’est-il pas le plus gros des marchands de sommeil à la mode à Marseille, et l’un des principaux pourvoyeurs de mal-logement ?
Petit rappel, il y a aujourd’hui 40 000 logements indignes à Marseille, 10 % du parc immobilier. Cela concerne 100 000 personnes, soit un Marseillais sur huit. Après 800 immeubles sous arrêtés de péril depuis 2018, seuls 1 400 des 6 000 personnes délogées ont été relogées par la mairie. Non, le scandale Vincent Challier ne réside pas tant dans la grossièreté du personnage que dans ce nouveau chèque en blanc laissé à des dizaines d’autres comme lui, qu’ils soient anciens ou nouveaux marchands de sommeil.
Et d’ailleurs, quand les gens se font vider de leurs logements pour la « rénovation », ne se retrouvent-ils pas mécaniquement à la merci de ces marchands de sommeil ancienne manière qui les exploiteront dans les taudis et les quartiers plus excentrés ?
Scinder les uns et les autres n’a qu’un objectif : faire oublier combien ces deux faces du mal-logement servent un même système. Inutile de communiquer sur la « traque et la fin de l’impunité » des uns si c’est pour se féliciter de la taxe de séjour et d’une « régulation » des autres.
Anciens ou nouveaux marchands de sommeil, Y en a marre !
En tant qu’habitant.es, voisin.e.s, nous exigeons de connaître les mesures prises depuis la diffusion du reportage contre le marchand illégal de sommeil touristique Vincent Challier ? Que va devenir le 30 rue Thiers ? Pourquoi aucune communication alors que la mairie annonce depuis l’été 2023 une lutte sans frein contre Airbnb ?
A-t-elle simplement entamé quelque chose contre cet autre Florent Richard, coach immobilier sur Instagram qui revendique plus de 30 logements entièrement placés en meublés de saison, s’être fait un million d’euros en 2023 moyennant quelques « optimisations fiscales » et aucun respect des réglementations ? Est-il si difficile à débusquer ? Quand il expose lui-même ses recettes pour dégrader le logement Marseillais, récupérer des ruines et les revendre sans les moindres travaux, ou tout placer en Airbnb pour éviter l’impôt, on se demande ce que fait et scrute la fameuse « brigade de contrôle » municipale, lancée en octobre 2023 à grand renfort de communication sur les plateaux de BFM-TV ? Ou la mairie ne souhaite plus « traquer » mais simplement amasser la taxe de séjour sur les ruines du logement marseillais ?
Communiquer ou éradiquer ? Balance ton Challier, ton Richard… et tous les autres
Si la mairie tient tant à lutter pour nos logements, qu’elle affiche clairement ses actions. S’est-elle constituée partie civile ? Récupérera-t-elle les logements non compensés pris aux habitants ? Vincent Challier écopera-t-il d’une simple amende avant de retourner tranquillement à son petit business spéculatif ?
Seule la pression des habitant.es force en réalité certains à faire leur travail, contre la disparition des habitant.e.s autant que contre l’insalubrité. A regarder finalement Complément d’enquête, on croirait presque que Vincent Challier est un cas extrême, même isolé. Tu parles ! Vis ma vraie vis de marseillaise et chacun pourra voir combien Vincent Challier n’est qu’un parmi tant d’autres, juste assez bête pour s’exposer publiquement. D’autres continueront à profiter de l’opacité (dans les taudis ou sur la plateforme)…
Seules la traque et l’expertise tirées de la vie dans nos quartiers documente, identifie, dénonce l’ampleur du phénomène. Elles seules mettent à jour les multipropriétés dans les locations, la reconversion de taudis en meublés de saison, contre le « droit au retour des délogé.es » (depuis les effondrements rue d’Aubagne en 2018).
Seule la lutte des habitant.es non résigné.e.s à disparaître permet de les débusquer et continuera de le faire face à cette ascension vertigineuse du mal-logement.
Parce que nous continuerons à nous battre, afficher et rendre visible pour vivre dignement dans nos quartiers.
Parce qu’on ne veut plus des exemples d’un soir pour faire passer le reste dans notre dos !
Parce qu’on ne veut plus de scandales d’un jour avant de retourner à l’oubli, à nos taudis ou au délogement qui vient.
Mettons fin à la « Niche » fiscale ! Rendez les logements aux habitant.e.s !
Balance Ton Airbnb ! Pour que la lutte des habitant.es se poursuive !
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[MIA, le 1er février 2024 https://mars-infos.org/complement-d-enquete-airbnb-7370]