Belo Horizonte (Brésil): Le Mondial s’écroule, on occupe toujours !

Occupations de bâtiments publics en série, infrastructures de la Coupe du Monde qui s’effondrent, manifs… Retour sur une semaine agitée à Belo Horizonte.

Le mercredi 2 juillet au matin, des centaines de personnes issues de 13 différents terrains squattés de Belo Horizonte ont occupé simultanément le siège de l’URBEL (Société d’Urbanisme de la Mairie de Belo Horizonte), le siège de l’AGE (Advocacia Geral do Estado – Représentant juridique de l’État du Minas Gerais) ainsi que le parvis de la mairie.

La Police Militaire, présente en surnombre dans la ville pendant la période de la Coupe du Monde et qui, depuis le début de l’évènement sportif, encercle et réprime systématiquement toute tentative de manif ou d’action, n’a cette fois-ci rien vu venir. Cette action coordonnée avait pour principal objectif de faire pression pour que soient levées les menaces d’expulsion qui pèsent sur les occupations urbaines. Les flics se sont postés en masse autour de tous les bâtiments occupés tandis que les groupes venus en soutien grossissaient à l’extérieur. Les occupant-e-s de l’URBEL et de l’AGE étant nombreux et isolés à l’intérieur des bâtiments, ils/elles se sont vite trouvé-e-s à cours de nourriture, la police ne laissant entrer aucun aliment malgré la présence d’enfants en bas âge parmi les occupant-e-s. Des échauffourées ont éclaté devant le bâtiment de l’URBEL après qu’une personne ait été arrêtée pour avoir jeté depuis la rue un sac de nourriture aux occupant-e-s. Une autre personne tentant de s’interposer à l’arrestation s’est faite cassé le bras d’un coup de matraque. Les flics ont alors tiré dans tous les sens, envoyant bombes de lacrymos et tirant au flashball aussi bien sur les manifestant-e-s situé-e-s dans la rue que sur les occupant-e-s situé-e-s dans le bâtiment. En fin de journée, après une pression constante, les manifestant-e-s sont finalement parvenu-e-s à faire entrer de la nourriture en grande quantité dans le bâtiment occupé. Cet épisode avait été en partie relaté dans un précédent article (ici).

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Vidéo: Arrestation et affrontements devant le siège de l’URBEL occupé

Le lendemain, le jeudi 3 juillet, un pont routier s’est écroulé, non loin du stade du Mineirão, hôte de la Coupe du Monde. Il est tombé sur un bus et plusieurs voitures, faisant au moins 2 morts et 19 blessé-e-s. Une des victimes était une chauffeuse de bus, qui a pu freiner à temps pour sauver la vie des passager-e-s, dont sa fille de cinq ans, mais pas la sienne. Le pont en question faisait partie des travaux de « mobilité urbaine » de la Coupe du Monde, construits à la hâte, surfacturés, servant de prétexte à d’énormes détournements de fonds publics. L’entreprise qui a construit le pont, la Cowan, avait été l’un des principaux investisseurs à financer la campagne politique de l’actuel maire de la ville, Marcio Lacerda. Elle avait été ensuite engagée par ce dernier pour faire les travaux, avant même d’exister juridiquement. Elle traîne désormais derrière elle une grande quantité de procès pour surfacturation et corruption active.

Vidéo: Images de la chute du pont routier à Belo Horizonte

Quelques mois plus tôt, un autre pont de la même avenue (construit pour la Coupe également) s’était affaissé subitement de 30 cm, mais la préfecture et l’entreprise responsable avaient alors nié tout risque d’écroulement. Deux semaines avant l’accident, de graves problèmes techniques présentant de sérieux risques avaient été identifiés par un rapport d’expertise dans la toute récente station de bus São Gabriel (vis manquantes, pièces rafistolées dans des structures porteuses, etc.), une des principales stations de changement de la Zone Nord de Belo Horizonte empruntée par des milliers de passager-e-s chaque jour. Mais la station, qui fait aussi partie des travaux prévus pour la Coupe, reste en fonctionnement, telle quelle. La semaine dernière, c’est un des bus nouvelle génération qui a pris feu tout seul, d’un seul coup, à cause d’un problème technique. L’entreprise responsable a avoué que tous les modèles pouvaient avoir le même problème, mais les bus continuent de circuler… Suite à l’écroulement du pont, le maire, Marcio Lacerda, a déclaré d’un air ironique : « Malheureusement, les accidents arrivent… ». Quant à eux, les dirigeants de la Fifa se sont dits inquiets des répercussions que l’accident pourrait avoir en plein Mondial dans la presse internationale.

Rappelons au passage que l’ensemble des travaux de la Coupe du Monde a fait l’objet de surfacturation démesurée, avec de clairs indices de détournement d’argent public. La seule Coupe du Monde 2014 a coûté plus cher que les trois dernières Coupes réunies.

L’écroulement du pont a provoqué une vague d’indignation contre la corruption liée à la Coupe du Monde et le maire de la ville, qui est pointé du doigt par beaucoup comme un des responsables de l’accident. Le soir-même de l’accident, des habitant-e-s des alentours ont manifesté près du pont en ruine, brandissant des pancartes disant : « La Coupe s’est terminée aujourd’hui », « La Coupe est pleine de sang » ou encore « Fifa Go Home!».

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Le lendemain, le vendredi 4 juillet, les occupant-e-s du siège de l’URBEL ont appelé à une manifestation devant le bâtiment afin de dénoncer la responsabilité du maire et de la mairie de Belo Horizonte dans l’accident. Les manifestant-e-s interpellaient les automobilistes aux cris de « La Coupe je n’en veux pas, ils m’ont volé mon argent pour construire des ponts qui s’écroulent », auxquels répondaient des concerts de klaxons en soutien. Au même moment, un autre rassemblement a eu lieu dans le centre-ville, sur l’emblématique Place 7, où un petit groupe s’est rassemblé sous une banderole sur laquelle était écrite : « À bas la Coupe du Monde faite avec le sang des ouvriers ! ». Dans l’après-midi, les personnes occupant l’URBEL et l’AGE ont quitté les lieux et sont descendues en manif jusqu’au centre-ville, rejoignant celles et ceux qui campaient devant la mairie.

Le jour même, le site internet de l’entreprise Cowan est hacké. Sur la page d’accueil du site, un message en rouge sur noir est écrit:  » Comment dormir tranquille à Belo Horizonte sachant qu’il existe plusieurs autres ponts construits par la Cowan? Combien coûte une vie pour vou$$$?  » .

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Le samedi 05 juillet, deux autres petites manifs ont eu lieu dans la journée. L’une près du lieu de l’accident, en solidarité aux victimes, et l’autre devant le siège de la Cowan, sous très haute surveillance policière.

Le mardi 8 juillet au matin, jour du match Brésil-Allemagne à Belo Horizonte, une centaine de personnes ont manifesté dans la favela Pedreiro Padre Lopes contre les violences et crimes commis par la police. Le nom de la manifestation « Où est Mateus ? » faisait référence à Mateus Souza Lopes, jeune de la favela qui a disparu depuis septembre 2012, suite à un contrôle de police. Il avait alors 15 ans. Ses parents et proches luttent toujours pour savoir la vérité à son sujet.

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À l’issue du match Brésil-Allemagne, au cours duquel le Brésil a essuyé une défaite historique, divers affrontements ont eu lieu entre la police et des émeutier-e-s. La Troupe de Choc de la Police Militaire a d’abord dû intervenir à l’intérieur du stade du Mineirão où des incidents ont eu lieu et où une partie des installations, des toilettes notamment, ont été détruites. Aux abords du stade, plusieurs groupes ont vandalisé des magasins et se sont attaqués à la police. Dans le quartier touristique de Savassi, près du centre-ville, des drapeaux du Brésil ont été brûlés et un autre groupe s’en est pris à la Police Militaire. Le lendemain matin, les alentours du stade étaient parsemés de tags : « Adieu la Coupe, révolution ! ». D’autres affrontements et émeutes ont eu lieu dans presque toutes les grandes villes du pays ce soir-là, comme cela a été décrit précédemment dans un article publié sur squat.net.

Le mercredi 9 juillet au matin, une manifestation en souvenir des victimes de l’écroulement du pont a été organisée pour rendre hommage aux morts et pour rappeler la responsabilité du maire et de l’entreprise de construction dans l’accident. La manifestation, qui était principalement composée des familles et proches des victimes, a été encerclée par un fort contingent de la Police Militaire qui a empêché le groupe de se déplacer pour « éviter la casse ». Le vendredi suivant a été organisé une masse critique partant du centre et allant jusqu’au pont écroulé où a été posée une banderole : « Ce n’était pas un accident »

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[Sources: G1.Globo | O Tempo | Estado de Minas | Estadao.]