Interview du zine Désurbanisme

Interview publiée en novembre 2014 dans le n°3 du zine dijonnais Less drugs More pills.

1 – Pourquoi est ce que tu as voulu rédiger ce fanzine à la main ?

Alors j’ai pas voulu le faire à l’ordinateur parce que j’ai voulu pouvoir le faire partout et tout le temps, j’avais pas un ordi avec moi et de le faire à la main c’était beaucoup plus simple. Et puis j’étais anti-industrielle, j’aimais pas les trucs technologiques, par principe. Et puis c’était pas nécessaire d’utiliser un ordi, mon zine allait être fait grâce à une photocopieuse, et c’était déjà bien.

2 – Pour le rendu, t’as essayé de travailler un peu la mise en page ou alors c’était vraiment brut de décoffrage ?

Bien sûr que j’ai travaillé la mise en page, tu l’as regardé ou quoi ?! C’est ça le truc justement, chaque texte, chaque image que je mettais dans le fanzine, je faisais quelque chose avec. Je faisais tout sur du A4 et puis ensuite c’était réduit en A5. Le zine était à prix libre. Il y a eu des abonnéEs, ça me motivait, je savais qu’il était attendu, les gens étaient sûrEs de l’avoir.

3 – Au niveau de la diffusion de ton zine, est ce que c’était juste distribué dans les milieux anars machin machin ou alors c’était plus large ?

J’étais étudiante en géographie à l’époque où j’ai commencé le zine. J’avais choisi l’option géographie urbaine, ou humaine, j’sais plus. Bref soit t’étais dans une branche scientifique soit t’étais dans une branche plus littéraire. Je m’étais dit que je ferais de l’urbanisme, j’étais à fond, ça m’intéressait vraiment. J’avais peut-être le secret espoir de pouvoir discuter de trucs intéressants sur l’urbanisme avec les autres étudiantEs de ma classe. Sauf que c’est jamais arrivé, alors finalement ce fanzine a remplacé ce que j’avais projeté. Bref pour en revenir au fait de toucher des gens, clairement, non, Désurbanisme est resté dans un réseau tout petit de gens qui ne se préoccupent pas forcément d’urbanisme en tant que tel, mais au moins d’écologie, de trucs politiques divers. C’est quand même la période de squat pour moi, donc dans ce réseau c’est vrai que ça a été diffusé de façon assez large (en France). J’ai essayé d’aller toucher d’autres gens en envoyant des exemplaires à des groupes d’urbanisme que je trouvais intéressants. Je me rappelle par exemple d’un groupe d’urbanisme à Bordeaux, Le Bruit du Frigo, ou le groupe Ici-Même à Paris, qui faisait des interventions marrantes dans les rues avec un discours intéressant. J’ai pas tellement eu de retours parce qu’en fait qu’est-ce que j’apportais à part un fanzine ? Mais il y a eu quand même quelques retours : à Bordeaux le zine était à la librairie anar l’Athénée libertaire. Et ça a permis une très belle rencontre, avec Guy Rottier et le groupe « les Conspiratifs ». Un homme qui est mort l’année dernière, un anarchitecte qui avait bossé avec Le Corbusier, et qui m’a envoyé des petits bouquins bricolés qu’il avait faits. Et dans les abonnéEs par exemple on retrouvait des personnes de 50 piges qui trouvaient ça chouette, qui voyaient ça comme une petite fraîcheur.

4 – Est-ce que t’avais des objectifs clairs quand tu as commencé ce zine, par rapport à ton idée de l’urbanisme par exemple ? Ou des objectifs que moi je pourrais pas capter mais que tu aurais en tête ?

Mon premier objectif était lié au fait que je découvrais à l’université que l’urbanisme c’était un sujet, idem par rapport au fait de s’occuper de la ville et qu’on pouvait avoir un avis là-dessus. Et pour moi ça a été hyper intéressant, notamment parce qu’à la fac je me faisais vraiment chier. J’étais la seule en cours à poser des questions, même à critiquer les profs. Je me rappelle que pendant un cours, un prof avait juste dit « Clermont-Ferrand a eu la chance de se développer grâce à l’industrie du pneu ». Juste dit comme ça, ça paraît tout con, mais en fait en quoi le développement économique d’une ville c’est une chance ? En quoi le pneu c’est une chance ? On avait commencé une sorte de discussion dans la classe, mais c’était bidon parce que personne ne s’intéressait à ça. Leur but c’était de valider leurs exams et basta. Alors mon objectif ça a été d’aller chercher du côté de mes copains-copines avec qui je brassais des thématiques proches de l’écologie mais aussi de la vie de quartier. Sur des questions urbaines plus larges. J’ai compris par mes études et ce que j’ai lu à cette période que le capitalisme avait pour terrain de jeu la ville. Ok, j’étais pas une enfant non plus quand j’ai commencé ces études, mais ça a vraiment mis ça en lumière pour moi. Bref, la ville est une émanation du capitalisme, en même temps qu’elle est son reflet. La ville contribue donc à entretenir le capitalisme mais peut-être qu’en tant que sujet elle pourrait contribuer à la mort du capitalisme.

5 – Justement, quand j’ai lu le titre du bouquin « Détruire les villes avec poésie et subversion », je me suis dit, chouette, voilà une personne qui a pensé à des solutions pour que la destruction des villes soit effective. Alors au début on trouve bien des petits encarts où tu nous montres comment faire en sorte que… Mais j’ai surtout trouvé des analyses. Du coup, est-ce que pour toi, ça t’a ouvert les yeux sur une façon de détruire notre cher capitalisme ou quoi ?

Alors sur des trucs de pratiques, j’ai essayé, par exemple, avec la présentations de divers jardins en Europe, où j’ai été. Ou des trucs de guérilla jardinière, d’anti-pub ou le droit de fenêtre d’Undertwasser. Donc finalement c’est lié à des trucs pratiques. Et même si c’était pas un objectif au départ, il a quand même été atteint : ce sujet a été repris à pleins de niveaux. A Grenoble, y’avait un parc municipal, Mistral, qui devait être détruit au profit d’un gros stade de foot tout pourri. Les gens ont critiqué frontalement la mairie de Grenoble et ses politiques en matière d’aménagement et n’ont pas seulement refusé un stade de foot. Il y a donc eu une vraie réflexion par rapport à ce qu’est le développement d’une ville, et sa critique. On retrouve aussi des réflexions par rapport à l’aménagement à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. L’air de rien, sur nos générations, ce fanzine a contribué à ce que l’urbanisme, la ville, l’aménagement, les territoires, les politiques urbaines soient un vrai sujet et qu’on développe des positions et des actions par rapport à ce sujet. Le fanzine a pu s’arrêter à partir de ce moment-là, parce que maintenant on trouve des textes hyper bien lorsque des luttes nous amènent à réfléchir sur ce sujet. Par exemple sur des histoires de squats, maintenant les gens se posent vraiment la question de la ville, c’est-à-dire sa gouvernance, mais aussi ce que nous en tant qu’habitantEs on y vit, fait, crée.

6 – Tu trouves qu’en 2001 y’avait pas de critique de l’urbanisme ?

Ouais, à fond ! Parce qu’en fait j’ai cherché, avec mes moyens, et puis parce que c’était mon sujet fétiche. Je trouvais vraiment ça passionnant que la ville soit un sujet. Et surtout de me dire qu’en attaquant la ville, on peut trouver une porte d’entrée pour attaquer le capitalisme. En réalité, le fait d’être anti-capitaliste c’est pas si simple, ça se décline sur plein de luttes, plein de fronts. La ville a pourtant l’air d’un sujet neutre, mais pas du tout, car par le biais des territoires, on a un point d’attaque du capitalisme.

7 – Est ce que t’avais une méthode pour trouver tes textes ?

En étant fan de la ville, j’allais à la bibliothèque, dans les librairies spécialisée ou dans les librairies d’occasion, parce qu’Internet c’était beaucoup moins la ressource internationale de tous les possibles. Et en fouinant je chopais tout ce qui pouvait m’intéresser et qui parlait de ça. Pour le coup, j’ai surtout trouvé des vieux trucs des années 1970, les situs ça c’est clair (des trucs sur la psycho-géographie). Bref, je glanais des trucs à droite à gauche, et puis dès que ça me parlait, ça finissait dans le zine. En tout cas, les textes de critique de la ville ne me tombaient pas sous la main facilement, surtout des trucs faciles à comprendre qui ne soient pas de la pure philo. Et puis c’était encore plus difficile de trouver des textes qui avaient une approche anti-capitaliste, parce que moi je cherchais vraiment un lien entre la ville et le capital. Je prenais donc tout ce qui allait dans le sens d’une critique, positive ou négative, de la ville et du capital.

8 – Y’a des auteurs que tu as découverts par la réalisation de ce zine ?

Oui et non. Parce qu’en fait j’ai pas cherché à trouver des textes pour ce fanzine. J’ai pas tellement fait des recherches documentaires pour le fanzine, mais plutôt pour moi. Et puis ça faisait qu’il y avait toujours assez de matière, il y avait toujours des textes pour un numéro en cours. Et parfois, presque par hasard, je me retrouvais avec des textes qui étaient liés à un thème.

9 – D’ailleurs y’a des numéros qui ont un thème particulier, c’est lié au hasard du coup ?

Au hasard, non, parce que rien n’est lié au hasard. Mais je cherchais pas non plus à faire un truc sur les transports, par exemple.

10 – Le zine ne t’a pas amenée à des recherches universitaires ?

Ah non, j’ai fait un bac +3 en 7 ans, du coup carrément pas. Mais ça me donnait un cadre. Et puis ça me permettait de questionner comment on enseigne ce sujet. Avec des matières plus ou moins chiantes, que j’ai d’ailleurs jamais intégrées au fanzine. Il n’a jamais été question de transformer un cours en quelque chose d’intéressant. Après, je me rends compte que quand il fallait faire un exposé, je ne prenais jamais un sujet proposé par les profs. Le fanzine m’a plutôt permis de continuer à faire des études, sinon ça aurait été la mort pour moi. Mais je me voyais vraiment urbaniste par contre. Quand j’ai commencé la géo urbaine, c’était plus pour me lancer dans du paysagisme et puis j’ai découvert la ville et je me suis dit urbaniste c’est trop bien.

10,5 – Mais pour moi urbaniste c’est un métier hyper flou…

Ouais pour moi aussi. Justement quand j’ai commencé ces études, c’était un métier tout récent. C’est-à-dire qu’il était pas encore bien défini et qu’il y avait plein de possibles en marche pour moi. Et puis j’ai rencontré des gens qui sortaient de la fac et qui m’ont direct dit que c’était mort pour changer les choses. « En fait tu peux juste décider si le centre commercial se trouvera là ou là… Idem pour l’autoroute. Il est à aucun moment question de proposer une autre façon de penser la ville. » Là je me suis dit que j’avais pas envie d’être dans un bureau pour être le faire-valoir d’une politique municipale ou autre, et que j’avais qu’à continuer mon chemin toute seule et que ce fanzine c’était très cool ! J’ai préféré chercher des solutions concrètes plutôt que de croire que j’allais avoir un super boulot.

11 – Pour parler un peu de l’actualité de ce zine… En fait ce zine est sorti en bouquin chez Le Monde à l’envers, une chouette maison d’édition (à part le bouquin d’Escudero!). Comment est-ce que tu t’es trouvée à mettre ce projet en route avec les gens du Monde à l’envers ?

Une personne du Monde à l’envers est l’un de mes premiers contacts grâce au fanzine. Moi j’étais à Paris lors de la parution des zines et cette personne était à Grenoble, au squat des 400 couverts. Ils étaient deux, même. Ils étaient tombés sur ce fanzine, et m’avaient écrit en croyant bien sûr que c’était fait par un collectif, en disant qu’ils aimaient ce fanzine et qu’ils aimeraient qu’on vienne pour des rencontres sur Grenoble pour en parler (le Festival des résistances et des alternatives au capitalisme, le Fraka). J’ai donc été à ces rencontres, c’était trop cool… Nos échanges ont duré, y’a même une lettre qui a été reproduite dans le zine, qu’on s’était envoyée. On prenait tous les deux le sujet de l’urbanisme au sérieux. Quelques années après, un proche du Monde à l’envers a fait tout le boulot de scanner tous les fanzines parce qu’il voulait qu’ils soient disponibles sur Internet. Et puis ce qui est génial c’est que Désurbanisme continuait à être photocopié et distribué dans les infokiosques, fanzinothèques, etc. Mais avec le temps les photocopies deviennent de plus en plus dégueulasses. Les marges bougent, les contrastes, etc. Mais à ce moment-là j’avais pas assez la motiv’, entre autre parce que moi j’avais fait le zine hors du monde des ordinateurs, et ça m’allait très bien. Bref ça restait en suspens et c’était dommage que ça en reste là. Mais eux, ayant les scans, et le sujet étant dans l’air du temps vu les problèmes d’aménagement local qu’on rencontre, se sont dit que de le sortir maintenant ça pourrait être utile. Et il m’ont proposé le projet livre. Au début ils voulaient que je sois beaucoup plus impliquée, mais j’avais pas envie de me replonger dans le sujet maintenant que le zine était arrêté. Et puis je suis plus assez au courant. Par exemple y’a des nouveaux textes qui paraissent sur la gentrification et sur lesquels on peut réfléchir encore pas mal. J’ai pas vraiment le temps de lire tout ça et donc je me sens pas d’en parler. Par contre j’ai été convaincue de le publier maintenant. On peut parler de leur production pour le bouquin, et ça me convient carrément puisque c’était un fanzine sans copyright. Après qu’il soit payant et prix fixe… bah c’est le monde des livres, ils font pas une thune dessus… J’avais pas de quoi m’opposer au projet… Bref c’est leur histoire, même si y’a des liens.

12 – Quelles relations t’entretiens avec les théories urbanistes maintenant ? Tu disais que t’étais plus à fond dedans, mais est ce que tu interagis toujours plus ou moins avec les critiques et les politiques d’urbanisme que tu rencontres dans ta vie ?

Ben justement, je trouve que ça s’est déplacé pour moi, c’est plus tellement la ville en tant que telle qui m’intéresse, mais ce qu’elle génère, comme les rapports ville/campagne, tout ce qui est dématérialisé. C’est-à-dire qu’on ne bosse plus uniquement sur des aménagements, des constructions, mais sur des façons de gouverner. C’est assez abstrait et difficile à expliquer. Surtout que par exemple, où je suis, c’est par la construction d’une autoroute et par l’extension concrète de la ville par des zones pavillonnaires à n’en plus finir que ça passe. C’est donc très concret, matériel. Mais pour nous faire avaler ça, ils ont inventé le « Grand Genève », comme le Grand Paris, les Grands projets de Strasbourg, le Grand Montpellier… En fait c’est facile, il y a un « Grand » quelque chose pour chaque lettre de l’alphabet! Et avec ça, ils tiennent le symbole, la fierté, l’appartenance. Ils inventent des concepts (par exemple chez nous l’enclavement, alors qu’il y a au contraire une circulation folle), et nous font gober des aménagements pourris, chers, qui détruisent l’activité rurale. Donc on essaye de soutenir les actions des paysans localement, on montre des petits films sur d’autres régions qui ont été urbanisées – comme Parties de campagne de David Yon – ou sur la ZAD, on organise des jeux pour amuser les gens en même temps qu’on apprend des choses. Ces derniers temps, on a lancé un questionnaire pour sortir de nos cercles amis et choper des infos. Et pourquoi pas des alliéEs.

Il y a aussi les luttes anciennes au Val de Suze ou à la ZAD où l’on défend vraiment des territoires et des quartiers où il se passe des trucs, ou comme aux Lentillères à Dijon… Ou toutes ces petites ZAD où des gens commencent à s’organiser contre l’extension des villes ou contre des aménagements spécifiques, mais qui dépassent ces luttes parce qu’ils pensent aussi à leur façon d’habiter, dans quel cadre… Une fois que tu as participé à une lutte collective, tu n’es plus la même personne. Je sais pas si y’a tant de théories qui les animent, mais en tout cas la pratique elle est là. Ces territoires sont une critique de ce qu’il se passe un peu partout, et y’a là quelque chose d’intéressant. Et une entrée pour lutter contre ce monde de merde.