Gentrification: nom féminin. On expulse des sans-papiers, et on fout des artistes branchés à la place.
«Je ne m’en fais pas trop pour le moment quant à la récupération, nous avons une longueur d’avance sur la liberté.»
Nelson Pernisco, du collectif Wonder (interview sur le site de Manifesto XXI)
Il y a deux ans et demi, un squat situé au 124 avenue Gallieni, à Bagnolet, ouvert dix mois auparavant par le collectif Baras, un collectif de sans-papiers majoritairement maliens, était expulsé par la police. Récemment, des artistes branché-e-s et opportunistes ont récupéré le bâtiment qu’ils occupaient. Ils et elles organisaient lundi dernier une soirée-événement, «Dirty Pepax» d’après leur brochure distribuée à l’entrée. Cet événement, organisé dans le cadre des «lundis du Pavillon Neuflize» du Palais de Tokyo, a réuni des centaines de personnes. Bonnets trop petits, moustaches fashion, pantalons taille haute et lunettes à montures épaisses étaient de sortie, pour s’enjailler autour d’œuvres d’art contemporain «DIY», directement inspirées de l’esprit des squats d’artistes et de l’art «underground».
On est nombreuses et nombreux à se souvenir de ce squat, de son ouverture en octobre 2013 à deux pas du Transfo, à son expulsion et à la lutte qui a tenté de l’empêcher durant l’été 2014. Les assemblées dans le hall pour s’organiser pour être présent-e-s les matins où on sentait l’expulsion imminente et les rassemblements matinaux pour attendre les keufs. Autant dire que la nausée nous a saisi lorsqu’on est entré-e-s dans l’enceinte, halluciné-e-s. Un fier logo «Liebert» trône maintenant sur le mur du bâtiment. Des artistes benêts aux crinières de feu et autres fashionistos occupent maintenant les lieux.
On a cherché à en savoir plus. On a navigué ainsi, de surprise en surprise. Apprenant là qu’ils s’occupent du gardiennage du lieu, ici qu’ils le louaient à 5000€ par mois pour 20 occupants. Ils sont passés par Plateau Urbain, une espèce d’entreprise spécialisée dans la mise en location de locaux vacants. Ces ordures mettent en avant l’intérêt qu’a le propriétaire à ne plus avoir à gardienner son immeuble, et toute une soupe éco-citoyenne de développement de l’usage immobilier (blablabla). Les occupants, donc, c’est le collectif «Wonder», un ramassis d’artistes écervelés qui érigent l’apolitisme en valeur première. Ils disposent d’un an avant la démolition, lorsqu’on leur demandera de partir ils quitteront bien gentiment le lieu, leurs airs faussement rebelles cachant en réalité une docilité minable. Coucouche panier, l’artiste subversif.
Le pire est peut-être de croire que certain-e-s écoutent et croient encore à la chiasse qui leur coule de la bouche. À les entendre, la gentrification n’a rien à voir avec eux. Eux, ce qu’ils font, c’est pas politique. Déjà parce que c’est légal, ça n’a rien à voir avec qui occupait le lieu avant. Si la police a expulsé le squat, comment cela pourrait-il être de leur faute ? De toute façon c’est simple, chaque lieu a un karma. Tout cela, dixit eux-mêmes, ça faisait flipper de les entendre se justifier de la sorte.
L’un d’entre eux nous a même sorti: «c’est pas parce qu’il y a des artistes-hipsters que la police expulse les sans-papiers», ce à quoi on lui a répondu que «c’est parce que la police expulse les sans-papiers qu’il y a des artistes-hipsters». L’histoire de ce «Liebert» résonne d’ailleurs avec celle du «Jardin d’Alice», qui a été tranquillement réinstallé par les pouvoirs publics avec une convention d’occupation en 2015 dans un lieu précédemment squatté par le même collectif Baras, rapidement expulsé par la police. Artiste ou sans-papier, choisis ton camp.
Ça nous a dégoûté, alors on leur a dit. On l’a aussi écrit sur leur façade. On se disait qu’on pourrait être plusieurs à leur rappeler ce qu’on pense de leur cas, par les moyens qu’on affectionne. C’est au 124 avenue Gallieni à Bagnolet, il y a plein de fenêtres à un jet de pierre du trottoir…