Valencia: un quartier en lutte contre la bétonisation d’une friche agricole

Le Centre Social Autogéré l’Horta ouvert en 2012 dans un quartier populaire de la ville a été victime d’une tentative d’expulsion illégale de la part des forces de l’ordre. Celles-ci ont été mises en échec. L’occasion d’un retour sur l’histoire de cet endroit.

Partons le temps d’un article sur la côte méditerranéenne. A 350km au sud de Barcelone, se trouve Valence, la 3e plus grande ville d’Espagne. Pour comprendre un peu mieux cette ville on peut déjà dire qu’on y parle le valencien, langue co-officielle dans toute la communauté de Valence. On peut aussi évoquer l’important mouvement techno qu’elle a connu dans les années 80 et 90, avec la mythique « Ruta del Bakalao ». Enfin il faut également expliquer que du début des années 90 au milieu des années 2010 sa mairie était du parti PP, le parti politique libéral-conservateur espagnol. Comme dans toutes les grandes villes, les ambitions urbanistiques sont de taille, et de nombreux plans d’urbanisme ont été mis en place, en particulier lors de cette période.

On pourrait parler du quartier populaire le Cabanyal, cet ancien village de pêcheurs situé juste à côté de la mer, et de la lutte victorieuse menée par ses habitants contre la destruction de leur quartier, que la mairie voulait remplacer par plein de bâtiments pensés pour les touristes. Mais on garde ça pour plus tard !

Aujourd’hui on va plutôt s’intéresser au quartier de Benimaclet, à la fois populaire, étudiant et de gauche, et qui lutte, à sa façon contre la bétonisation de la ville.
Au programme : une société mi privée, mi publique nommée la Sareb, formée en 2012 suite à la crise économique dans le but de sauver les banques en achetant leurs actifs toxiques [1] et une friche urbaine occupée, appelée CSOA l’Horta [2]. Elle est composée d’une douzaine d’hectares de jardins, et de deux bâtiments dont une ancienne ferme. L’occupation date de 2012, l’historique sera détaillé plus bas, mais pour se faire une idée, c’est un endroit dans lequel beaucoup de personnes s’organisent ensemble et font diverses activités. Les groupes d’activités évoluent et changent dans le temps, aujourd’hui il y a entre autres un club de boxe thaïlandaise, une bibliothèque, un atelier guitare, un groupe jardins, d’autres groupes de gestion… En revanche contrairement à divers lieux occupés que l’on peut connaître en France, ça n’est pas un lieu d’habitation, mais uniquement d’organisation et d’activités. L’organisation se fait via diverses assemblées, et de temps en temps des soirées autour de thématiques d’actualité sont proposées.

A la mi décembre ce lieu a subi une tentative d’expulsion de la part des forces de l’ordre. Plusieurs articles ont été écrits à ce sujet, et le collectif de l’Horta a rédigé un communiqué pour dénoncer l’expulsion illégale. La suite de cet article est une traduction d’un article de La Directa, journal basé à Barcelone qui publie des articles d’actualité en Catalogne mais aussi à Valence, on y trouve une explication assez intéressante de l’expulsion mais aussi un retour historique sur le lieu. Juste après le communiqué rédigé par le collectif de l’Horta !

Bonne lecture !

Réoccupation du CSOA l’Horta après la tentative d’expulsion

Article publié dans la Directa le 14 décembre 2020

L’échec d’une tentative d’expulsion illégale

Ce lundi 14 décembre, aux alentours de 8 heures du matin, un large dispositif de la police nationale espagnole, composé d’au moins 8 fourgons, s’est déployé dans le quartier de Benimaclet à Valence. Leur objectif : procéder à l’expulsion du CSOA l’Horta, qui se situe au bout de la rue Diógenes López Mecho, à côté de la place des Treize Roses. Les agents, sans aucun ordre judiciaire et sans avertir personne auparavant, ont changé les serrures des portes de la ferme, installé des alarmes ainsi que trois portes anti-squat. Selon ce que la Directa a pu constater sur place, une personne qui se trouvait alors dans les jardins s’est fait mettre dehors.

De nombreuses personnes ont répondu à l’appel à soutien et se sont rassemblées devant l’entrée du lieu mais elles ont été bloquées par les forces de l’ordre. Après un long moment de tension entre les militants et les agents, et après plusieurs charges policières, les forces de l’ordre ont abandonné le lieu et des centaines de personnes, membres de l’Horta et habitants de différents quartiers de Valence ont réussi à entrer et ont réoccupé l’espace. Dans la soirée, à 19h, il y a eu un appel à rassemblement sur la place de Benimaclet pour protester contre cette « attaque illégale ».

Le centre social se trouve actuellement en plein processus juridique contre la Sareb qui prétend être propriétaire du bâtiment. Selon les explications d’un des avocats et membres de la coopérative El Rogle, Nacho Collado, pour le moment la Sareb est seulement propriétaire d’une parcelle de 100m2 sur les quelques 1200 m² qui composent l’espace, en comptant la ferme et les jardins. « Ce matin, nous nous sommes rendu compte que l’autorisation d’expulser ne concernait pas la maison. Il y a eu une expulsion dans un lieu qui n’était pas concerné par le procès » explique Collado, en effet l’intervention policière de ce matin là aurait du se limiter à une parcelle du terrain, et donc cette intervention était complètement illégale. L’assemblée du CSOA l’Horta va lancer une procédure juridique pour la tentative d’expulsion de la ferme, ils ont déjà gagné deux [3] des quatre procédures juridiques intentées par la Sareb, et ils insistent sur le fait qu’ils les ont toutes contestées parce qu’elles n’ont pas été réalisées comme il se doit.

Naissance du lieu

Le CSOA l’Horta du quartier de Benimaclet à Valence est né en 2012 de l’initiative d’un groupe de personnes qui voulait ouvrir à Valence un lieu de rencontre pour des collectifs, mais aussi pour permettre de tisser des liens entre différentes personnes dans la ville. Depuis le début du projet, les membres du collectif ont essayé avant tout de créer une atmosphère « sans relations de pouvoir » appuyée par une assemblée qui s’organise de manière horizontale, autogérée.

Tout commence fin mars 2012 quand dans la suite du mouvement du 15M [4]et en suivant le modèle des mouvements libertaires des années 90, une trentaine de jeunes décide d’occuper une ferme désaffectée. Elle appartenait à une famille qui l’avait utilisée comme un local pour leur magasin de fleurs. Par ailleurs les processus de spéculation immobilière de l’Horta menaçaient l’avenir de l’entreprise, la famille est donc partie en 2003. Plus tard elle a été occupée par une famille en situation précaire et aussi par d’autres jeunes, jusqu’à ce que l’assemblée de l’Horta décide de « faire que ce terrain ne sois plus un ghetto mais bien une revendication politique, et créer un espace d’autonomie et de résistance »

Communiqué pour dénoncer la tentative d’expulsion du CSOA l’Horta le 14 décembre

Depuis le CSOA l’Horta nous transmettons ce communiqué afin de dénoncer l’intervention des forces de l’ordre lors de la tentative d’expulsion illégale de l’Horta ce 14 décembre 2020. Nous voulons remercier les habitants du quartier qui se sont rassemblés pour protester contre cette expulsion, mais aussi ceux qui ont relayé des informations via les réseaux sociaux, merci aussi pour tous les messages de soutien que nous avons reçu de la part d’autres collectifs à travers le pays et enfin merci à toutes celles et ceux qui font vivre ce lieu.

Le CSOA l’Horta est un espace communautaire et autogéré dans lequel s’organise depuis huit ans une vie alternative de manière horizontale non marchande et féministe. Cette occupation est légitime et nous ne cherchons l’approbation ni des médias, ni du pouvoir pour mener à bien notre lutte. Nous avons décidé de libérer un espace qui avait été abandonné et dégradé par la spéculation immobilière (avec un PAI [5] obsolète de 1989). Là ou il y avait une ferme en ruines et des montagnes de fumier nous avons crée un projet de centre social entouré de petits jardins cultivés de manière autogérée ou tout le quartier a sa place.

Nous ne permettrons à aucune opération judiciaire qu’elle soit légale ou illégale de nous en déloger.

1. Nous dénonçons le procédé judiciaire et les actes de la Sareb

– Tout type d’expulsion est illégitime, nous ne permettrons pas que l’on nous retire ni la ferme ni un mètre carré des petits jardins.

– La Sareb a demandé une expulsion illégale et injustifié de cet espace.

– Le Parquet a été complice de la Sareb en autorisant l’expulsion.

2. Nous dénonçons la répression et la violence policière

– Ce lundi là il y a eu des charges policières arbitraires et disproportionnées et des attitudes violentes et intimidantes à l’encontre des habitants du quartier qui s’étaient rassemblés pour protester devant l’entrée de l’Horta.

– Les forces de l’ordre ont eu une attitude hostile à l’égard des personnes qui étaient présentes dans l’espace avant le rassemblement, ce qui était très clairement un abus de pouvoir.

– 14 personnes ont été blessées lors de la charge des policiers.

– Cela démontre une fois de plus l’incohérence des institutions car Rafael Rubio, sous-délégué du gouvernement à Valence, déclare que les incidents avec les policiers ont été minimes, alors qu’il y a eu des blessés parmi les manifestants. Et après que les grands médias aient cessé de intéresser à cette affaire, la police a arrêté et mis en garde à vue un jeune homme qui avait participé au rassemblement de soutien le lundi 14.

3. Nous dénonçons les dégradations matérielles au sein de l’espace

– L’entreprise Activis Noclam SL a posé des portes anti-squats. Les verrous de toutes les portes à l’intérieur de la maison ont été détruits avec la volonté très claire de nuire gratuitement à l’espace.

Encore une fois la coopération entre la Sareb, le système judiciaire et la police a mis en lumière le rôle de l’état qui défend les intérêts des banques et des projets immobiliers plutôt que l’usage collectif d’espaces et les initiatives autogérées au sein des quartiers.

Afin de faire front commun face à ces attaques envers nos maisons, nos espaces et nos corps nous ne pouvons faire confiance seulement aux procédés légaux dans ce système. Nous devons sortir dans la rue, créer des réseaux et redéfinir collectivement notre conception de la propriété, qu’elle concerne les biens immobiliers ou les terres, et ce dans toute la ville.

Ensemble nous continuerons a construire des communautés et des espaces qui résistent à la spéculation immobilière.


CSOA l’Horta
Camino de Farinós, Benimaclet
46022 Valence, État espagnol
horta [at] riseup [point] net
https://squ.at/r/5ol5
https://horta.noblogs.org/

Des squats dans la péninsule Ibérique:
État espagnol: https://radar.squat.net/fr/groups/country/ES/squated/squat
Catalogne: https://radar.squat.net/fr/groups/country/XC/squated/squat
Pays Basque: https://radar.squat.net/fr/groups/country/XE/squated/squat

Des groupes (centres sociaux, squats, athénées) dans la péninsule Ibérique:
État espagnol: https://radar.squat.net/fr/groups/country/ES
Catalogne: https://radar.squat.net/fr/groups/country/XC
Pays Basque: https://radar.squat.net/fr/groups/country/XE

Des événements dans la péninsule Ibérique:
État espagnol: https://radar.squat.net/fr/events/country/ES
Catalogne: https://radar.squat.net/fr/events/country/XC
Pays Basque: https://radar.squat.net/fr/events/country/XE


[1] Il y a une page Wikipédia qui explique ça très bien
[2] CSOA : Centre Social Okupat Anarquista : Centre Social Autogéré, l’horta signifie en valencien le potager, le jardin cultivé.
[3] Actuellement 3 des 4 procès ont été gagné, d’ailleurs pour mieux comprendre, la Sareb, est propriétaire de plusieurs parcelles du terrain, et donc ils ont du faire une procédure pour chaque parcelle, c’est pour cela qu’il y a 4 procès différents.
[4] 15M : Mouvement des indignées qui occupèrent la Plaza del Sol à Madrid à partir du 15 mai 2011 et pendant plusieurs semaines
[5] PAI, Programa d’Actuació Integrada, équivalent du PLU, Plan Local d’Urbanisme

Dijoncter, le 21 janvier 2021 https://dijoncter.info/a-valence-espagne-des-militants-luttent-contre-la-betonisation-d-une-friche-2450