Brésil : “Ici noël n’existe pas.” Lettre écrite à Noël par la militante anarchiste Moa Henry, une des 23 accusé.es de vandalisme pendant la Coupe du Monde au Brésil

On partage ici la lettre écrite à Noël par la militante anarchiste Moa Henry, une des 23 accusé.es de vandalisme pendant la Coupe du Monde. Moa est maintenant dans la clandestinité. Après avoir eu le droit à la liberté provisoire en août 2014, elle a reçu un nouveau mandat d’arrêt en décembre pour avoir participé à une activité culturelle sur une place publique.

Ici Noël n’existe pas.

Pendant que le monde fête le “capitalisme fraternel de Noël”, avec leurs sapins (à la mode américaine) remplis de cadeaux, à côté des tables bien abondantes*, on vit dans un monde où ce qu’on voit et expérimente est une réalité moins opulente, qui n’est ni pacifique, ni fraternelle.

Il y a deux jours, pendant que des centaines de familles bourgeoises célébraient l’amour et la fraternité chrétienne, un jeune appelé Rafael Braga était torturé à l’intérieur d’une cellule solitaire dans une des prisons de “la ville merveilleuse”.** Pendant que l’élite fasciste échangeait des cadeaux, Caio et Fabio – deux activistes qui sont sortis dans les rues en 2013 pour lutter pour un monde meilleur, pour la santé, l’éducation, le logement, des transports de qualité, et un coût de vie moins élevé, non seulement pour eux, mais pour toute la population – n’avaient rien à fêter, simplement parce qu’ils étaient à l’intérieur d’une cellule dans une autre prison de la “ville merveilleuse”.

Pour continuer la liste, je peux citer l’activiste Igor Mendes, arrêté le 3 décembre 2014 en sortant de chez lui. Igor Mendes est aussi sorti dans les rues pour dénoncer le fascisme de l’État, géré par la mafia partidaire (PT, PSDB, PMDB)***, des opportunistes, avec leur appareil de répression, la violence policière employée contre les mouvements populaires et dans les zones plus pauvres de la ville, etc. Il a aussi passé la nuit du 25 décembre dans une prison.

Nous sommes accusées, comme Igor Mendes, d’avoir commis un acte de désobéissance civile, Elisa Quadros et moi, on a eu aussi des mandats d’arrestation. A la différence d’Igor Mendes, on a eu l’opportunité de s’enfuir. Nous deux, on vit toujours dans la clandestinité, depuis le 3 décembre.

Je vous raconte tout ça, non parce que j’ai l’intention de me poser, ou de nous poser, en tant que victimes, comme si on se plaignait de ne pas échanger des cadeaux, ou de ne pas être à la maison avec nos familles, en train de fêter “l’amour”, “la fraternité”, “la paix” et “l’abondance”. Je veux dire clairement ici que nous ne fêtons pas, par exemple, la “paix” et “l’abondance”, parce que nous n’avons tout simplement pas eu de “paix” ou “d’abondance”. Pour nous, bien comme pour des centaines de milliers de prisonniers, de SDF, pour tous.tes ceux.lles qui ont été violemment expulsé.es, chassé.es et assassiné.es à la campagne, dans les communautés autochtones, et dans les favelas, pour ceux.lles qui sont exploité.es au quotidien à l’intérieur et à l’extérieur des villes, pour nous tous.tes Noël n’a pas eu lieu, comme la Coupe du Monde n’a pas eu lieu, comme les Jeux Olympiques n’auront pas lieu.

Nos tables n’ont pas été abondantes, et dans beaucoup des cas nous n’avions même pas une table (comme dans les prisons et dans les trottoirs, où beaucoup de gens survivent).

Dans plein d’endroits dans le monde, dans les banlieues et dans les favelas, des familles entières se sont réunies sans avoir de quoi poser sur la table, et sans avoir aucune raison de fêter.

Et comme ça on a passé ce que la bourgeoisie, les capitalistes et les chrétiens appellent Noël. Quelques un.es emprisonné.es, d’autres affamé.es, et tant d’autres dans la clandestinité. Durant cette nuit, encore beaucoup d’autres se sont souvenu.es de la mort ou de la disparition de leurs Claudias****, Amarildos*****, ou de leurs compagnon.nes de lutte. Pour tout ça, j’affirme avec conviction que dans ce monde de lutte et de résistance Noël n’existe pas !

En solidarité avec les 43 étudiant.es mexicain.es !

Pour la liberté de Fabio, Caio, Igor Mendes et Rafael !
Pour la liberté de tous les prisonnier.es !
Pour la fin de tous les procès !
Pour la fin du génocide à la campagne, dans les favelas, et dans les communautés indigènes !
Mort au fascisme et au Capital !
No pasaran !

Moa Henry – 26 déc. 2014

Notes des traductrices :
* Le terme “abondance” traduit ici le terme “fartura” en portugais brésilien, qui fait référence à la Bible et qui revient souvent dans les messages chrétiens de Noël.
** La Ville Merveilleuse (“Cidade Maravilhosa”) est le surnom de Rio de Janeiro au Brésil. Beaucoup de Brésilien.nes ont coutume de dire “Dieu est un artiste, et Rio en est son chef-d’œuvre !”.
*** PT – Parti des Travailleurs, PSDB – Parti Social-Démocrate du Brésil et PMDB – Parti du Mouvement Démocratique Brésilien.
**** Le 17 mars 2014, Claudia Ferreira da Silva, une femme noire et pauvre, a été violemment tuée par la police de Rio de Janeiro. Après avoir reçu des balles elle a été mise dans le coffre d’une voiture de police. Durant le trajet jusqu’au commissariat, le coffre s’est ouvert et son corps a été traîné plusieurs centaines de mètres sur la route derrière la voiture.
***** Le maçon Amarildo de Souza, habitant de la favela “Rocinha”, à Rio de Janeiro, a disparu le 14 juillet 2013, après avoir été amené au commissariat de l’UPP (Unité de Pacification de Police) de la favela. A priori il aurait été ramené au commissariat pour se faire interroger, puis il n’est jamais revenu. Il avait participé activement aux mouvements de révoltes de juin 2013 au Brésil et s’opposait ouvertement à la présence de l’Unité de Pacification de Police dans son quartier.

[Source en portugais : ABC Rio de Janeiro.]